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Droits de douane ou antidumping perçus à tort : quelle période concernée par le versement d’intérêts et quelles conditions ?

Transport - Douane
10/05/2022
À propos de l’obligation de remboursement de droits de douane ou antidumping indument perçus à la suite de l’application incorrecte du droit de l’Union trouvant sa source dans une erreur de droit ou d’appréciation des faits par la Douane, constatée ici par une juridiction nationale, un arrêt de la CJUE du 28 avril 2022 précise les conditions du versement des intérêts correspondant au remboursement, tant pour la période qu’ils visent – toute la période d’indisponibilité des sommes versées – que pour l’organisation par les États membres des recours gracieux, administratif ou juridictionnel pour le remboursement.
Si l’arrêt ici exposé joint différentes affaires, deux seulement sont traitées (à l’exclusion de celle relative à des restitutions à l’exportation et à une sanction douanière qui y est liée). Les deux situations retenues correspondent à une perception indue, soit de droits de douane soit de droits antidumping, constatée par une juridiction nationale qui retient une appréciation/interprétation erronée du droit de l’UE par la Douane allemande. Dans les deux cas, si cette dernière accepte le remboursement de ces droits, elle refuse en revanche de verser les intérêts sur ces droits à partir de la date de leur paiement par les opérateurs, mais seulement à compter de la date de saisine du juge par les opérateurs (jusqu’à la date de leur remboursement). Les intérêts versés ne concernant donc pas la période totale durant laquelle les opérateurs avaient été privés des sommes indument versées, ceux-ci ont engagé des recours sur ce point auprès des juridictions nationales, qui interrogent la CJUE.
 
Pour la CJUE, il découle de sa jurisprudence constante relative au principe général de répétition de l’indu :
  • d’une part, que tout administré auquel une autorité nationale a imposé le paiement d’une taxe, d’un droit, d’un impôt ou d’un autre prélèvement en violation du droit de l’Union a, en vertu de ce dernier, le droit d’obtenir de l’État membre concerné le remboursement de la somme d’argent correspondante ;
  • et d’autre part qu’un tel administré a le droit, également en vertu du droit de l’Union, d’obtenir de la part de cet État membre non seulement le remboursement de la somme d’argent indûment perçue, mais aussi le versement d’intérêts visant à compenser l’indisponibilité de cette dernière.
 
S’agissant des droits de douane et antidumping, ici qualifiés de « droits douaniers non dus », leur remboursement est régi par le Code des douanes communautaire (CDC) alors applicable (remplacé depuis par le Code des douanes de l’Union, ou CDU), mais aussi par le droit interne.
 
Dispositions des Codes applicables aux intérêts
 
Selon l’arrêt Wortmann du 18 janvier 2017 de la CJUE (voir notre actualité), le remboursement des droits douaniers non dus, prévu par le § 1 de l’ex-article 236 du CDC, doit donner lieu au versement d’intérêts, et l’exception à ce principe général, visée à l’ex-article 241 du CDC, n’est pas applicable dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, la raison pour laquelle ces droits ne sont pas dus est qu’ils ont été perçus en violation du droit de l’Union.
 
Remarques
Pour mémoire, l’ex-article 241 précité disposait notamment :
« Le remboursement par les autorités douanières, de montants de droits à l’importation ou de droits à l’exportation ainsi que des intérêts de crédit ou de retard éventuellement perçus à l’occasion de leur paiement ne donne pas lieu au paiement d’intérêt par ces autorités. Toutefois, un intérêt est payé lorsque :
–      une décision donnant suite à une demande de remboursement n’est pas exécutée dans un délai de trois mois à partir de l’adoption de ladite décision,
–      les dispositions nationales le prévoient. (...) ».
 
La Cour valide l’interprétation de l’avocate générale selon laquelle l’exception visée au § 6 de l’article 116 du CDU, qui reprend désormais, en substance, la teneur de cet ex-article 241 n’est pas non plus applicable si, comme en l’espèce, la raison pour laquelle ces droits ne sont pas dus est qu’ils ont été perçus en violation du droit de l’Union.
 
Modalités de versement des intérêts : droit interne encadré
 
Période concernée : toute l’indisponibilité
 
Toujours selon une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation de l’Union, l’ordre juridique interne de chaque État membre doit prévoir les modalités de versement des intérêts en cas de remboursement de sommes d’argent perçues en violation du droit de l’Union. Cependant, ces modalités doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité, ce qui implique, notamment, qu’elles ne soient pas aménagées de manière à rendre excessivement difficile ou pratiquement impossible l’exercice du droit au versement d’intérêts garanti par le droit de l’Union. En particulier, ces modalités ne doivent « pas aboutir à priver l’administré concerné d’une indemnisation adéquate pour la perte qui lui a été occasionnée, ce qui suppose, notamment, que les intérêts qui lui sont versés couvrent toute la période », de la date à laquelle il a payé à la date à laquelle il est remboursé. Le droit de l’UE s’oppose donc à une réglementation nationale selon laquelle le versement d’intérêts ne peut intervenir que pour la période allant de la date d’introduction du recours juridictionnel visant à obtenir le remboursement à la date de la décision rendue par la juridiction compétente, à l’exclusion de la période antérieure. 
 
Recours juridictionnel ou recours gracieux/administratif, condition du versement des intérêts ?
 
Le législateur national peut-il prévoir que le versement d’intérêts ne peut, en tout état de cause, bénéficier qu’aux administrés qui ont introduit un recours juridictionnel en vue d’obtenir le remboursement, à l’exclusion des administrés qui se sont limités à former un recours gracieux ou une réclamation administrative préalable devant l’autorité nationale compétente, qui a été rejeté par décision explicite ou implicite de cette dernière ? Sur ce point, la CJUE précise que l’exercice effectif des droits garantis par le droit de l’Union n’exige pas, par principe, que les autorités nationales procèdent d’office au remboursement ou au paiement de telles sommes et à un tel versement d’intérêts, en l’absence de toute initiative contentieuse des administrés visant à faire respecter ces droits. Et elle ajoute que la marge de manœuvre des États membres, en l’absence de réglementation de l’Union, pour préciser les modalités de versement d’intérêts doit être exercée dans le respect du principe d’effectivité et, à ce titre, notamment, ne pas aboutir à rendre excessivement difficile ou pratiquement impossible l’exercice des droits (il ne doit donc pas en être privé).
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy guide des procédures douanières, no 460-16 et dans Le Lamy transport, tome 2, no 1427. L’arrêt ici exposé est intégré à ces numéros dans la version en ligne des ouvrages sur Lamyline dans les 48 heures à compter de la publication de la présente actualité.
  
Source : Actualités du droit